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Les médias sociaux polarisent-ils ?

Juliette Leblanc, étudiante de maîtrise en séjour de recherche à SciencesPo Paris

Ce texte résume les résultats présentés dans le mémoire de maîtrise de Juliette Leblanc. Dans le cadre de sa maîtrise, Juliette a fait un séjour de recherche à SciencesPo Paris, financé par la Chaire CERIUM-FMSH sur la gouvernance mondiale.

La multiplication des plateformes médiatiques dès le début du 21e siècle a permis un flux croissant de l'information mise à la disposition du public. On distingue notamment la montée croissante de l'utilisation des réseaux sociaux, qui permet aux utilisateurs de rester connectés entre eux, mais également de consulter de l'information provenant de l'actualité, des nouvelles politiques, et bien d'autres. Les réseaux sociaux sont également connus pour leurs algorithmes, qui, basés sur les "j'aime" et le temps passé sur une publication, sélectionnent du contenu à montrer à l'utilisateur, ce que l'on appelle l'exposition accidentelle. Un revers de cette exposition serait le potentiel effet isolant d'un utilisateur vis-à-vis d'une information homogène, congruente avec sa propre idéologie.

Simultanément avec l'évolution de l'écosystème médiatique, certains chercheurs observent une montée de l'animosité entre les partisans. Ce phénomène, appelé la polarisation affective, prend ses racines dans la théorie de l'identité sociale, qui veut que les gens se distinguent par groupes. Ici, l'identité principale serait l'appartenance à un parti politique et le sentiment de proximité avec les gens qu'ils considèrent de leur groupe, ainsi qu'une certaine animosité envers "les autres".

Si l'on observe une augmentation de l'utilisation des réseaux sociaux, mais également une croissance de la polarisation affective, les deux phénomènes sont-ils liés ? La combinaison des deux types d'informations - politique et personnelle - au sein d'un seul et unique fil d'actualité est un facteur propre aux réseaux sociaux. La question de recherche au cœur de ce travail tente de savoir si les réseaux sociaux peuvent augmenter les niveaux de polarisation affective des utilisateurs en raison d'une exposition accrue à un contenu idéologiquement homogène, et surtout s'il existe une différence entre les plateformes médiatiques.

 

Exposer les répondants à des idées congruentes : une expérience sur Facebook et Instagram

En exposant les répondants à des idées congruentes : une expérience sur Facebook et Instagram, j'ai décidé de mener une expérience visant à inciter certains répondants à s'exposer davantage à ce contenu, sur l'une des deux plateformes médiatiques : Facebook ou Instagram. 

Pour ce faire, j'ai récolté 600 répondants que j'ai divisés en deux groupes de traitement - Facebook et Instagram - et un groupe témoin. Après avoir demandé à tous les répondants s'ils s'identifiaient généralement comme étant politiquement de gauche ou de droite, ils ont été aléatoirement attribués à l'un des trois groupes. Ensuite, ils ont été invités à suivre au moins trois comptes de leaders politiques ou de journaux - que j'avais préalablement identifiés - partageant de l'information politique congruente avec leur idéologie préalablement rapportée, sur leur propre compte sur le réseau social auquel ils avaient été assignés. Le schéma expérimental se trouve dans la figure ci-dessous. En attribuant le traitement, certaines attitudes politiques des répondants ont été mesurées, notamment une mesure du niveau de polarisation affective, ainsi qu'une évaluation des élites politiques. Une deuxième vague du sondage a été menée un mois plus tard pour mesurer les différences dans les attitudes politiques, préalablement saisies.

 

Est-ce que les réseaux sociaux polarisent affectivement?

Pour estimer si les utilisateurs attribués à un groupe de traitement ont augmenté leur niveau de polarisation affective, nous pouvons procéder à une comparaison des moyennes entre la première mesure et la seconde. Ici, les répondants ont été sondés sur leur degré de confort à avoir des amis qui ne partagent pas leur opinion politique. Les valeurs plus élevées indiquent qu'une personne n'est pas du tout à l'aise - donc hautement polarisée affectivement - tandis que les valeurs plus faibles indiquent qu'une personne est très ouverte - donc peu polarisée affectivement. Les résultats sont présentés dans le graphique ci-dessous.

Tout d'abord, il est possible d'observer la dispersion des observations représentée par les petits points pour les deux vagues, tandis que les points opaques représentent la moyenne. En comparant les trois groupes, on remarque que les répondants du groupe Facebook ont augmenté leur niveau de polarisation affective entre la période 1 et la période 2, tandis que l'effet opposé peut être observé pour les répondants assignés au traitement Instagram.

Pour déterminer si ces résultats sont généralisables, il faut effectuer un test statistique, par exemple un test T. Cependant, en comparant les changements de moyenne pour chaque groupe entre la période 1 et la période 2, le niveau de signification statistique n'est pas atteint pour aucun des groupes. Cela signifie que même si les répondants semblent avoir été affectés par le traitement, les effets observés ne sont pas suffisamment forts pour en tirer des conclusions précises. Cependant, il est intéressant de noter comment les deux plateformes médiatiques semblent aller dans des directions différentes, bien que ces différences n'atteignent pas de niveaux de signification statistique.

Si les répondants n'ont pas réellement changé leur ouverture quant à avoir des amis qui ne partagent pas la même idéologie politique qu'eux, peut-être ont-ils changé leur évaluation des élites politiques, les comptes qu'on leur a demandé de suivre. 

Dans le tableau ci-dessous, on observe notamment les résultats pour l'évaluation des élites politiques. Les résultats positifs indiquent une augmentation de la différence d'évaluation des élites entre le premier et le deuxième sondage, ce qui suggère que les répondants assignés au groupe Facebook ont davantage réagi au traitement, et ce de manière statistiquement significative. La différence d'évaluation des élites aurait été plus prononcée que chez les répondants du groupe Instagram, qui, ici, ne semblent presque pas avoir réagi et n'atteignent pas de niveaux de signification statistiques. Cela souligne que les répondants auraient davantage répondu à une polarisation affective envers les élites politiques plutôt que de leur cercle rapproché.

Les différences entre plateformes, un indicateur clé?

Ce que les résultats de cette recherche démontrent, c'est qu'il ne suffit pas d'étudier une plateforme médiatique pour comprendre l'effet qu'elles peuvent avoir sur les niveaux de polarisation affective. Il faut comprendre dans quel environnement l'exposition à l'information politique a lieu : est-elle partagée par nos amis proches, est-elle le résultat de nos propres recherches, ou est-elle stimulée par des algorithmes ? Les fils d'actualités ne sont pas homogènes et varient fondamentalement dans leur construction, leur présentation, et leur structure. En conclusion, cette recherche souligne l'importance de prendre en compte la diversité des environnements médiatiques pour une compréhension approfondie des effets des plateformes médiatiques sur la polarisation affective.