Marwan Mohammed consacre ses recherches aux carrières délinquantes depuis une vingtaine d’années. Les «carrières délinquantes»? Ce sont «les trajectoires de transgression», explique le sociologue et chargé de recherche au CNRS, en France. «Je m’intéresse aux expériences de la délinquance, à ces écarts de la norme pénale».
Le sociologue du crime passe la première semaine de novembre au CÉRIUM pour inaugurer le nouveau programme de résidences. Au cours de son séjour, Marwan Mohammed offre des classes de maître aux doctorants, intervient dans les médias, participe à des réunions de travail avec les chercheurs, partage ses connaissances avec la société civile et l’administration publique, et donne des conférences publiques. Un programme dense.
Les échelons de la criminalité
Parmi ces conférences : la stratification sociale des mondes criminels, qui a eu lieu mardi en présentiel à l’Université de Montréal. Le titre pourrait faire écho à la logique qui structure la carrière du sociologue, qui suit un programme de recherche sur le long terme depuis ses études à l’Université Versailles Saint-Quentin. Parti des bandes de jeunes, Marwan Mohammed s’est intéressé ensuite au trafic de drogue, puis au crime organisé. «Mes recherches gravissent les échelons de la criminalité», résume-t-il.
On peut même remonter plus loin. Issu de la banlieue parisienne où voisins et copains étaient impliqués dans ces carrières délinquantes, son questionnement personnel sur les comportements dont il était témoin s’est mué en questions de recherche, explique-t-il.
Enquête en terrains difficiles
Des recherches sur de tels sujets nécessitent de faire enquête en terrains difficiles, où la sécurité physique, mentale et même juridique des chercheurs comme des sujets sont à risque. D’autant que Marwan Mohammed privilégie les méthodologies ethnographiques ancrées dans l’expérience des individus, sollicitant de longs entretiens, par exemple, avec les acteurs de cette délinquance dans les prisons, dans la rue et dans les quartiers où évolue la criminalité. «Ces terrains sont structurés par des comportements interdits», rappelle le chercheur, expliquant ainsi la difficulté d’y accéder.
L’ethnographie en terrains difficiles a d’ailleurs fait l’objet d’une table ronde, elle aussi en présentiel à l’UdeM, au court de son séjour.
L’islamophobie comme objet de recherche
L’auteur de Les bandes de jeunes : des «blousons noirs» à nos jours (La Découverte, 2007), Islamophobie : comment les élites françaises fabriquent le problème musulman (La Découverte, 2016) et Communautarisme? (PUF, 2018), entre autres ouvrages, s’est en effet aussi intéressé à l’islamophobie, qu’il a étudié en mobilisant le cadre théorique de la construction des « problèmes publics ».
Le sociologue s’est penché sur la construction du «problème musulman» en France en établissant des comparaisons avec des précédents historiques tels que l’histoire coloniale et l’antisémitisme. Ses recherches tentent de démontrer comment l’Islam a été progressivement construit comme un «problème» et comment l’islamophobie est devenue l’arme privilégiée d’un racisme qui n’ose pas dire son nom.
Encore une fois, c’est l’expérience personnelle qui l’y a poussé. «Quand on rencontre des populations de confession musulmane qui sont discriminées, qui subissent du racisme, on ne reste pas indifférent», dit-il, lui-même musulman. Au tournant des années 2010, rappelle-t-il, l’islamophobie était omniprésente dans le débat public, mais encore très peu étudiée. Il s’est alors lancé dans un programme de recherche avec des collègues en se demandant ce que les sciences sociales pouvaient bien dire sur ce phénomène. Ç’a commencé par un séminaire, des recherches, puis un ouvrage et des interventions dans les milieux de recherche et médiatique. «Bien sûr, on a pris beaucoup de coups!», raconte-t-il. Un autre terrain difficile…
Cette parenthèse aujourd’hui refermée, Marwan Mohammed poursuit son programme de recherche sur le crime organisé. «J’ai encore beaucoup à faire.»