Karine Côté-Boucher est professeure agrégée à l’École de criminologie de l’UdeM et chercheure au CÉRIUM. Spécialisée en études sur les réfugiés et les migrations, ses travaux portent sur les pratiques en matière de sécurité frontalière.
Dans son ouvrage Border Frictions : Gender, Generation and Technology on the Frontline (Routledge, 2020), Karine Côté-Boucher retrace la transformation des agents frontaliers canadiens en force de police à part entière. Grâce à une méthode multidisciplinaire qui mélange entretiens avec les fonctionnaires, études ethnographiques et analyse de politiques, elle démontre les conséquences des tactiques de plus en plus coercitives dans la mobilité des marchandises et des personnes.
Quel phénomène avez-vous observé et vouliez-vous élucider ?
Pour ce livre, je me suis posé la question : comment les gardes-frontières canadiens en sont-ils venus à adopter une conception plus répressive de leur travail ? Le contexte n’était pas nécessairement favorable à l’émergence de cette culture occupationnelle. De considérables ressources ont été dépensées et des efforts faits depuis les années 1990 afin de transformer la surveillance frontalière en une double entreprise de sécurité et de facilitation des échanges commerciaux. Alors que nous avons externalisé le contrôle des mobilités au-delà des frontières géopolitiques à la suite de ces efforts, j’examine les raisons pour lesquelles nous en sommes venus à croire qu’il nous faut déployer des tactiques coercitives à notre frontière terrestre.
Sur quoi avez-vous posé votre regard pendant votre recherche ?
Au moyen d’entretiens avec des agents des services frontaliers, un terrain ethnographique mené aux abords de ports d’entrée terrestre et une analyse des stratégies frontalières canadiennes, je me suis d’abord intéressée à l’utilisation des technologies de l’information en contrôle frontalier (bases de données, processus de ciblage) et à leur intégration dans le travail de première ligne des agents. Loin d’être évidente et accueillie à bras ouverts, cette intégration donne plutôt lieu à des conflits au sein des agences de sécurité frontalière. En réaction à la virtualisation et à l’automatisation de la frontière engendrée par ces technologies qui remettent en question leur pouvoir discrétionnaire et leur mainmise sur la prise de décision, les agents ont adopté un discours plus réactif et une pratique plus « policière ».
Qu’avez-vous découvert, au juste ?
D’abord, le développement d’une approche plus concrète et plus physique du contrôle frontalier de première ligne reposant sur une sélection et une formation des agents qui insistent sur la sécurité, l’usage de la force et, surtout, sur le port de l’arme à feu. J’ai souligné l’importance symbolique genrée attribuée à l’arme par les agents, et particulièrement par leur syndicat, et la manière dont elle contribue à la masculinisation du travail frontalier. La socialisation professionnelle des agents se retrouve au cœur d’un changement générationnel majeur dans les ports d’entrée, donnant lieu à des tensions entre les douaniers d’expérience et les plus jeunes.
Sur quels enjeux pensez-vous centrer la suite de vos recherches ?
J’analyse actuellement des données obtenues auprès de l’industrie du camionnage transfrontalier au Québec et en Ontario. Dans ce projet, je m’interroge sur les effets de l’adoption de politiques de sécurité frontalière et de facilitation de la circulation des marchandises par le Canada et les États-Unis dans les 20 dernières années. Une soixantaine d’entretiens menés avec des acteurs de l’industrie et des camionneurs révèlent que la surveillance frontalière s’insère de plus en plus dans les opérations de ces compagnies. Il s’agit de penser la place grandissante prise par l’externalisation des frontières dans notre quotidien et de réfléchir aux enjeux présentés par cette surveillance en matière de vie privée et de droits des travailleurs du transport.