Ruth Dassonneville est professeure adjointe au Département de science politique à l’UdeM, titulaire d’une Chaire de recherche du Canada en démocratie électorale et chercheure au CÉRIUM. Ses intérêts de recherches portent sur le comportement électoral, le désalignement, la volatilité électorale, le vote économique et les partis politiques.
Par le biais d’une analyse longitudinale qui emploie des données sur la satisfaction envers l’Union européenne depuis les années 1970, Ruth Dassonneville présente dans son article More “Europe,” less Democracy? European integration does not erode satisfaction with democracy (Electoral Studies, 2021) la possibilité d’une érosion de l’opinion publique à mesure que l’intégration européenne se poursuit par le biais de traités et d’institutions communes.
Quel phénomène avez-vous observé et vouliez-vous élucider ?
Dans l’article, on s’intéresse aux conséquences du processus d’intégration européenne sur les attitudes démocratiques des citoyens. À travers le temps, les pays membres de l’Union européenne ont perdu un peu le contrôle sur certains enjeux politiques en raison d’un transfert de pouvoir vers Bruxelles. Dans certains dossiers, les gouvernements nationaux ne peuvent plus prendre des décisions seuls, car c’est à Bruxelles ou à Strasbourg que les décisions sont entérinées. L’immigration est un bon exemple. La libre circulation des personnes au sein de l’Europe, dans l’espace Schengen, est une réalisation phare de l’intégration européenne. Un pays membre ne peut pas décider unilatéralement de fermer les frontières, ce qui réduit la marge de manœuvre des gouvernements nationaux en matière d’immigration.
Sur quoi avez-vous posé votre regard pendant votre recherche ?
On voulait voir si le transfert de pouvoir et de compétences de l’échelon national vers Bruxelles a eu pour effet de réduire le niveau de satisfaction envers la démocratie nationale chez les citoyens. On s’attendait à un tel effet parce que le transfert de certaines compétences et de pouvoirs au profit de l’Union européenne implique que les gouvernements nationaux ne peuvent pas répondre aussi facilement à l’opinion publique de leur pays. Il peut s’agir de questions liées à l’immigration, mais aussi à des politiques budgétaires par exemple, où le processus d’intégration européenne limite dans une certaine mesure les décisions que des gouvernements nationaux peuvent prendre.
Et qu’avez-vous trouvé ?
À notre étonnement, nos recherches ne démontrent aucun effet négatif du processus d’intégration européenne sur le niveau de satisfaction démocratique des citoyens. Utilisant les données individuelles des Eurobaromètres, et un grand nombre d’indicateurs de la présence de l’Europe dans le processus de prise de décision politique, on observe que ces indicateurs ne sont pas corrélés de façon négative avec le niveau de satisfaction des citoyens avec la démocratie.
Sur quels enjeux pensez-vous centrer la suite de vos recherches ?
Les résultats nous ont surpris, car on s’attendait à voir des effets négatifs d’un transfert de pouvoir vers le niveau européen. On souhaite donc mieux comprendre pourquoi on a trouvé des résultats nuls. Il y a différentes possibilités. Une première option est que notre mesure de satisfaction avec la démocratie ne capture pas bien les attitudes des citoyens envers le fonctionnement concret de la démocratie. Le recours à d’autres mesures de l’opinion publique donnerait peut-être une autre réponse. Une deuxième option est que les citoyens ne réalisent tout simplement pas à quel point la marge de manœuvre des gouvernements nationaux a été réduite en raison du processus d’intégration politique et économique européen. En faisant des expériences, où on donnerait de telles informations aux participants, on pourrait probablement voir quels seraient les effets si les citoyens étaient bien informés.