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L’Inde Modi-fiée : Polarisation affective et soutien aux normes démocratiques en Inde

Prarthana Puthran, étudiante à la maîtrise à Sciences Po

Ce texte présente le travail de mémoire de Prarthana Puthran, dans le cadre du Master de Science Politique de Sciences Po, et dont le terrain de recherche a été soutenu par la Chaire CÉRIUM-FMSH

 

Introduction

La polarisation affective est le nouveau terme à la mode dans la recherche en science politique. Toutefois, les études empiriques sur le sujet sont fortement axées sur les démocraties occidentales. Ce travail vise à mettre en évidence la polarisation affective en Inde, comment elle diffère de ce que l’on observe dans les autres démocraties, ainsi que ses liens avec le soutien aux normes démocratiques.

L'Inde est la plus grande démocratie au monde. Elle a réussi à surmonter de nombreux obstacles qui se sont dressés sur la route de la démocratie. En 2014, Narendra Modi est arrivé au pouvoir avec son parti remportant à lui seul une majorité au parlement. Ce changement dans le paysage politique a été suivi de changements sociaux. Les gens ont commencé à s'identifier comme partisans ou opposants à Modi, créant ainsi de l'hostilité entre eux. Le lexique de science politique définit cette tendance comme de la polarisation affective. Au lieu de se concentrer sur le parti ou les partisans du parti, cette recherche se penche sur la manière dont la polarisation affective en Inde est présente par rapport à un dirigeant, à savoir Modi. 

La recherche se concentre sur la compréhension du degré de polarisation affective des jeunes Indiens par rapport à Modi, sur les déterminants de cette polarisation affective, sur la relation entre la polarisation affective et le soutien aux normes démocratiques, ainsi que sur la question de savoir si les partisans de Modi polarisés affectivement tendent à être moins enclins à soutenir les normes démocratiques par rapport aux opposants à Modi polarisés affectivement.

 

Design de recherche

L'étude a utilisé des méthodes mixtes, combinant une enquête (284 répondants) et des entretiens en personne (40 interviewés). Cette approche permet d'obtenir une compréhension globale du sujet. L'échantillon de l'étude est constitué d'individus appartenant à la tranche d'âge de 18 à 29 ans et résidant à Mumbai, Bengaluru, Kolkata et New Delhi. Le choix de cet échantillon est basé sur la volonté de focaliser l'étude sur de jeunes individus résidant dans les métropoles du Nord, du Sud, de l'Est et de l'Ouest de l'Inde.

En plus de variables sociodémographiques, l'enquête mesure la polarisation affective et le soutien aux normes démocratiques. La polarisation affective à l’encontre des « exogroupes » (outgroup) politiques a été mesurée à l'aide de thermomètres affectifs et de questions sur les perceptions des traits de caractère. Le groupe d'appartenance (ingroup) et l’exogroupe ont été définis en fonction du soutien à Modi, c'est-à-dire les partisans de Modi respectivement ses opposants. Les répondants ont été invités à évaluer deux types de personnes ayant des opinions contraires sur des questions telles que le chômage, la démonétisation, le concept d'Hindu Rashtra ou l'accord Rafale. Cette mesure a été complétée par des entretiens semi-structurés visant à mieux comprendre la nature et les sources de la polarisation affective en Inde. Les interviewés ont été abordés avec le thème général « Comprendre les attitudes politiques des jeunes Indiens », afin d'éviter les biais de désirabilité sociale et de comprendre leurs points de vue. Pour calculer le soutien aux normes démocratiques, les répondants ont été invités à lire huit déclarations liées à la tolérance politique et à la protection constitutionnelle. Ils ont ensuite été invités à spécifier leur opinion sur ces déclarations selon une échelle à cinq points, allant de « fortement en désaccord » à « fortement d'accord ».

 

Résultats et implications

Les entretiens ont mis en évidence comment Modi est la figure centrale de la société et de la politique indiennes. Il passionne les gens, c'est pourquoi les partisans et opposants à Modi sont émotionnellement investis lorsqu'il s'agit de former des opinions sur l'autre groupe. Ils se perçoivent mutuellement de manière négative, à travers le prisme de stéréotypes. Par exemple, les partisans de Modi voient les opposants à Modi comme des anti-nationaux, des pseudo-gauchistes, tandis que les opposants à Modi voient ses partisans comme des personnes irrationnelles. Le niveau d'éducation, le domaine d’étude, le genre et les connaissances politiques n'étaient pas des prédicteurs significatifs de la polarisation affective. Cependant, le soutien à Modi est un prédicteur significatif de la polarisation affective. En comparant les niveaux de polarisation affective, on constate que les opposants à Modi sont affectivement plus polarisés que les partisans de Modi. Le graphique 1 illustre comment les opposants à Modi apprécient davantage leur groupe d'appartenance que les partisans de Modi.

Avec la montée de mouvements populistes à travers le monde, on observe une tendance à un recul démocratique accompagnée d'un déclin du soutien aux normes démocratiques. Selon l'enquête PEW Global Attitudes Survey, 79 % des Indiens interrogés ont exprimé leur satisfaction quant au fonctionnement démocratique du pays. Cependant, les opinions sont de nature partisane, car les personnes soutenant le BJP sont significativement plus satisfaites du fonctionnement démocratique que les partisans du Congrès. Des études antérieures ont souligné comment les citoyens polarisés affectivement sont moins susceptibles de soutenir les normes démocratiques. Ils ont tendance à privilégier les préférences partisanes par rapport aux choix démocratiques. Cependant, le soutien aux normes démocratiques en relation avec le soutien à Modi n'avait pas encore été étudié empiriquement.

Dans ce cas, bien que la relation entre la polarisation affective et le soutien aux normes démocratiques soit négative, elle n'est pas significative comme prévu. Cependant, lorsque la même relation est examinée en lien avec le soutien à Modi, l'effet d’interaction permet de mieux comprendre la relation. La Figure 2 illustre cette relation avec des lignes de régression distinctes pour les partisans de Modi (bleu) et ses opposants (rouge). Les partisans de Modi polarisés affectivement sont moins susceptibles de soutenir les normes démocratiques, tandis que les opposants de Modi polarisés affectivement sont plus susceptibles de soutenir ces normes. Pour les partisans de Modi, le soutien aux normes démocratiques diminue avec une augmentation de la polarisation affective, tandis que c'est le contraire dans le cas des opposants de Modi. Cette tendance a également été reflétée dans les entretiens. Un des partisans de Modi, qui est étudiant en économie en dernière année à Mumbai, a déclaré que tant que les objectifs étaient atteints, les méthodes (démocratiques) n'avaient pas d'importance.

 

Cette recherche est pertinente d’un point de vue scientifique et social, pour mieux comprendre la démocratie indienne. Il s'agit de l'une des premières études à se concentrer sur la polarisation affective en Inde. Elle met en lumière comment la polarisation affective existe en termes de leadership en Inde. Elle démontre l'importance de prendre en compte les effets d'interaction. L'étude propose une nouvelle approche méthodologique combinant des méthodes mixtes pour comprendre la polarisation affective et pose les bases pour des études futures.